La suite !

Chose promise, chose faite.

Après avoir quitté Birmingham (et donc arrêter ce blog), je vous avais parlé d’un nouveau projet.

Encore des rencontres, mais cette fois-ci, plus simplement avec des Français.

Des Coréens, des Américains, des Brésiliens, des Espagnols, des Italiens, des Allemands… des gens du monde entier qui passent par ma nouvelle ville de résidence.

Non, je n’habite pas à New York, Paris ou Londres, mais à Logroño !

Une ville de 150 000 habitants dans le nord de l’Espagne, sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Elle accueille 15 000 pèlerins par an, qui s’arrêtent pour une nuit dans une des auberges de la ville.

J’en profite alors pour aller leur poser des questions.

D’où viennent-ils ? Pourquoi ils font ça ? Est-ce que c’est difficile ?

RDV sur http://pelerinsdelogrono.wordpress.com pour découvrir ces nouveaux portraits.

Et merci encore pour votre fidélité.

Elise

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Good bye

Voilà.
Le camion est parti et l’appartement est vide, je quitte officiellement Birmingham.
Cela signifie aussi la fin de ce blog.

Pour ce dernier post, j’aimerai féliciter Jennifer Mahé alias MissMahé Andherbooks d’avoir remporter haut la main le concours du meilleur article. (Désolée Marion, tu as été battue sur la fin…)

Plus généralement, j’aimerai aussi remercier toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questions. Vous avez toute ma reconnaissance pour la confiance qui vous m’avez accordée.

Merci à Valérie-Anne Maître qui a relu avec attention tous mes brouillons et m’a toujours soutenu dans cette aventure.

Mais aussi à tous les abonnés, mes amis, mes amis, ma famille (surtout ma belle-famille), les fidèles, les commentateurs…. qui ont été là pour me suivre.

Ce projet n’aurai jamais pu exister sans François qui me l’a soufflé, Etienne qui a regardé des Tchoupi pendant que je rédigeais et Suzanne qui a passé les premiers mois de sa vie devant un écran… Merci aussi !

Bonne installation à tous les Français qui consulteront ce blog à l’avenir, je suis sûre que les gens interviewés ici seront ravis de continuer à vous donner des tuyaux 😉 Merci d’ailleurs à Charlotte et Marie-Sophie sans qui j’aurai vraiment eu du mal à faire mon trou ici.

Je pars dans une autre ville, un autre pays, vivre d’autres choses. Mais ne vous inquiétez pas, mon âme de journaliste bloggueuse a bien d’autres ambitions… A très vite donc.

Elise

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François, 29 ans  » Je suis sûr que c’est une ville qu’on regrettera »

cadbury 2Sur l’air de jeu de Cadbury World, un flot de familles traîne des sacs plastiques remplis de chocolats et de confiseries. Le seul qui a les mains vides, c’est François. Et pour cause, comme tous les salariés du site, il a accès au magasin d’usine. Avec ses fossettes, il regarde le musée consacré à l’histoire de la famille fondatrice de l’entreprise, mi-amusé mi-sérieux. Lui aussi, il a eu un beau parcours pour en arriver là.

From Telford to Birmingham

Arrivé en octobre 2012, François est venu participer à un programme européen pour le groupe américain auquel il appartient. « Birmingham, ça s’est fait complètement par hasard mais ce qui est drôle c’est que c’était une des seules régions du Royaume-Uni que je connaissais. En fait, j’avais habité deux ans à Telford, pas très loin d’ici , quand j’étais au collège. »

Le grand gaillard aux yeux vert était donc déjà passé par les Middlands, et cette nouvelle expérience le laissait plutôt dubitatif.  » J’avais très envie de repartir vivre en Angleterre donc j’étais content, mais en même temps, j’avais en tête que Birmingham n’était pas la ville du siècle, donc j’étais plutôt mitigé… »

« Quand j’habitais à Telford, j’étais passé ici, principalement pour aller l’aéroport et rentrer en France. Mais aussi faire le sport national du coin : aller au supermarché ! Avec mes parents, on avait aussi assisté à quelques concerts au Symphony Hall. Mais j’avais un souvenir d’une ville hyper terne, hyper noire. »

Première fois

Avant de débarquer avec sa petite troupe, le bon père de famille vient passer quelques jours sur place pour trouver un appartement convenable.  » Je suis venu rencontrer mon boss, et j’en ai profité pour visiter des logements potentiels. Je me suis alors rendu compte que je ne connaissais pas vraiment Birmingham. »

François ne cherche pas dans le centre ville, il préfère suivre les conseils qu’il peut glaner autour de lui et opte donc pour la périphérie. « Avec nos critères très français, on pourrait dire que cette ville, c’est une somme de villages. Ça fait un peu bizarre. Harborne, Edgbaston, Moseley sont à dix ou vingt minutes du centre et on est presque à la campagne. »

Le choix définitif de Moseley se fait l’un des trois soirs qu’il avait sur place. « Je suis retourné voir l’un des appartements que j’avais visité, au moment de la tombée de la nuit. J’ai rencontré un commerçant, on a un peu discuté sur le quartier, et il m’a vendu les lieux. Je suis aussi tombé sur un ancien collègue qui fêtait son départ d’Angleterre. Il sortait d’un super pub du coin, était un peu éméché… bref, l’endroit m’a plu ! « 

Les débuts à Birmingham

Dès les vacances de la Toussaint, toute la famille repart une semaine en France.  » Du coup, tout est allé très vite. Défaire les cartons, me faire à mon boulot, trouver une nurserie pour mon fils, et on repartait déjà ! Mais à Noël, on avait pris nos marques. »

Il insiste.  » On a eu un très bon accueil de la communauté française. » Petite déception pour le couple, l’absence de relation avec les Anglais. « On n’a pas vraiment fait d’efforts. On n’a pas cherché à voir les voisins, les gens du quartier, de mon boulot. On savait qu’on ne resterait pas longtemps. »

Il se reprend.  » Surtout que les Anglais, ils ne s’invitent pas vraiment chez eux. Au début, sans baby sitter, on avait plutôt tendance à faire des dîners, chez nous ou chez les gens, et ça c’est très français. « 

Birmingham

Avec le temps, François le reconnaît, il a appris à se sentir bien ici. « C’est une grande ville, donc on a vraiment tout sur place. Les magasins, les centres sportifs… des cours de tennis à 300 mètres de chez moi par exemple. En terme de transport, c’est top. Le train, l’aéroport international, tout est facile. »

Son boulot aidant, il réussit à rentrer chez lui assez tôt.  » Les horaires anglais sont très cools et il y a, je pense, beaucoup moins de présentéisme qu’en France. Peut-être sont-ils plus efficaces tout simplement ? « 

Children welcome

De son année passée Angleterre, il se souviendra surtout de l’accueil exceptionnel réservé à ses enfants.  » Beaucoup de choses sont tout simplement pensées pour eux. Le moindre restaurant est équipé de toilettes avec des tables à langer, et qui sont propres en plus ! Des chaises hautes, un menu avec des petits jeux… Même au cinéma, tu peux changer une couche ! A Paris, tu te demandes parfois si tu ne vas pas te faire virer parce que tu es rentré en poussette ! »

cadburyVie française ou vie anglaise

En repensant à ses années de collège dans le coin, le jeune homme a senti une vraie différence concernant la vie quotidienne. « Par rapport à il y a quinze ans, tout a évolué.  Cette année, j’avais tous les journaux français sur mon ipad, j’écoutais Europe 1 dans la bagnole, avec les podcasts ou les grandes ondes, c’est facile. »

En fait, il se rend compte qu’il a beaucoup moins vécu en immersion. « On était en famille, avec des potes français. Alors oui, on dinait à 19h, on a fait des soirées au pub, et on s’autorisait des fulls english breakfasts à 11h du matin le dimanche. Mais il n’y avait que l’alimentation d’anglaise. Pour le reste, nous sommes restés très français. »

El futuro

Comme c’était possible que ça arrive, la famille quitte Birmingham, tout juste un an après s’y être installée. « C’est un choix de ma part de partir. Professionnellement, c’est très bien mais c’est vrai que s’il y avait eu une place ici je serai bien resté aussi. Je suis sûr que c’est une ville qu’on regrettera. » 

Il se reprend. « Nous allons quand même vers d’autres aventures toutes aussi excitantes, puisque nous partons vers l’Espagne. C’est drôle, on s’installe dans une ville toute aussi inconnue que Birmingham. Ça s’appelle Logroño. »

Une dernière fois, il se retourne vers ses enfants qui s’amusent sur la balançoire.  » J’aimerai bien revenir avec eux quand ils seront en l’âge d’aller à l’école. Faut avouer que les nurseries sont hors de prix, mais à partir de 6 ans, l’école publique est gratuite et le niveau pédagogique, excellent. En fait, je m’imagine bien dans une grande maison à Moseley, d’ici quelques années… » Sa femme lui sourit. Elle doit fermer son blog sur les Français de Birmingham. Mais pour combien de temps ?

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Survey holidays

Birmingham au soleil

 

Un lundi sans article.

Je vous imagine déjà « en manque » !

Pour vous faire patienter jusqu’à mon retour de congés, je vous ai concocté un petit devoir de vacances…

Pour mieux vous connaître, répondre à vos attentes, et comprendre ce que vous appréciez dans ce blog, vous pouvez participer au petit sondage ci-dessous.
C’est très simple, il suffit de me dire quel interview vous avez préféré sur ces six derniers mois.

Je sais que c’est difficile de n’en choisir qu’un. Moi-même je serai très ennuyée si j’avais à le faire.

Mais tout choix est un renoncement, comme dirait ma très chère mère.

A vos clics, je compte sur vous.

RDV à la rentrée pour de la nouveauté,

Elise

Elise soleil

Yann, 42 ans « Je me suis toujours demandé comment accéder à la communauté française de Birmingham »

Yann

Grillon de canard, fromage de brebis et vins de Loire… Il faut s’enfoncer dans le sous-sol du casino de Broadstreet pour découvrir un merveilleux buffet. Une fois par mois, Yann organise autour de cet apéritif ce qu’il appelle un networking français. C’est à la fin de la rencontre que le jeune cadre dynamique s’assoit enfin dans un grand fauteuil rouge pour nous raconter son parcours. Comme pour un véritable entretien d’embauche, il organise ses réponses avec soin, tout en jouant avec ses cartes de visite sur la table. De temps en temps, il fait un trait d’humour, presque à voix basse. In vino veritas ?

Retour au pays

Le businessman habite depuis cinq ans à Birmingham. « J’ai rencontré ma femme à Londres pendant nos études. Nous avons ensuite habité Nantes quelques années. Et puis on a décidé de rentrer. » Il se reprend. « C’est plutôt elle qui a décidé de rentrer… Elle est originaire d’ici et sa famille lui manquait. »

Visiblement Yann n’était pas très enclin à quitter la France. « Je comprends qu’elle ait eu besoin de retrouver les siens. Mais, moi, je n’ai jamais aimé Birmingham ! Je connaissais déjà parce que sa sœur y habitait, et qu’on était déjà venu lui rendre visite. Cette ville ne m’a jamais trop plu. D’ailleurs, il n y’a pas proprement parlé de ‘ville’. Il n’y a même pas vraiment d’histoire, à part celle de l’industrialisation … Je n’avais pas accroché avec cet endroit. »

Côté pratique, le Français était encore en période d’essai quand il a dû rallier l’Angleterre. « Je bossais dans l’immobilier et j’ai été obligé de tout laisser tomber. En arrivant ici, mon niveau d’anglais n’était pas suffisant pour rester dans ce secteur. Même avec mes années à Londres. Et puis j’ai reçu un email d’une société de recrutement pour travailler dans les assurances. J’ai pris ce nouveau départ comme une chance. Deux entretiens plus tard, j’avais le job. Une belle opportunité au final ! »

Famille famille famille

En arrivant à Birmingham, le couple s’installe sur Hagley Road, l’une des artères principales de la ville. « Au début, on a loué. Et puis quand on a vendu ce qu’on avait en France, on a pu acheter. Nous sommes maintenant à Quinton. C’est pratique parce que ma belle-soeur habite à Harborne, comme ça on est pas pas loin de chez elle. »

Malgré leur nouvelle proximité avec Londres, ils n’ont plus vraiment de contacts là-bas.  » Les copains de nos années d’études ont continué leur route. Un peu partout dans le monde, entre voyages et expériences professionnelles. » Du reste, Yann le reconnaît, il n’a pas beaucoup d’amis ici.  » Ils sont plutôt en France. » Il se reprend tout de suite. « Mais j’ai le plus important : ma structure familiale. Ma femme et mes deux filles. Et puis il y a aussi toute la famille indienne de ma femme. »

Sur sa vie dans les Middlands, il nous avoue s’y être fait.  » Je finis par mieux connaître Birmingham, et plus apprécié les lieux. Je pense que c’est un bon équilibre pour une famille avec deux enfants. Il y a de grands espaces verts, des complexes sportifs et surtout de très bonnes écoles. » Il réfléchit un instant. « Elles seraient peut être aussi bien en France, qui sait ? »

Anglo-french ou Franco-anglais ?

Quand on évoque la question, Yann dit tout de suite : « On parle anglais à la maison, c’est important pour l’avenir ». Et puis encore une fois, il revient sur son affirmation. « On leur parle français aussi, évidemment. » Avec sa femme, ils sont capables de s’exprimer dans les deux langues.

Ses filles ont huit et onze ans, elles ont grandit à Nantes et manient donc facilement la langue paternelle. « Mais elles ne l’écrivent pas. C’est dommage. C’est pour ça que je viens d’avoir un entretien avec la directrice de la petite école française de samedi matin. On regarde pour les inscrire à la rentrée. On va voir. »

La famille passe une bonne partie des congés dans l’hexagone. « On va partir en France dans quelques semaines pour l’été. Pour les filles, c’est synonyme de vacances mon pays. Mais pas seulement. Je pense qu’elles sentent une certaine appartenance, au moins culturelle, pour ce pays. Surtout l’aînée. »

Quand on lui demande la nationalité de ses enfants, le papa lève ses imposants sourcils en souriant. « Bonne question ! Anglaise, il me semble. Oui oui, c’est ça puisqu’elles ont des passeports britanniques. Cela devait être plus simple de faire comme ça pour ma femme. Pour qu’elles puissent voyager tranquillement avec elles. »

Let me introduce…

Pendant que nous discutons, les derniers invités de Yann se dirigent vers la sortie, non sans être venu lui dire au revoir. C’est ça aussi le networking. « J’ai découvert ce genre de rencontre en arrivant à Birmingham. Mais mes premières expériences ne m’ont pas beaucoup plues. Les groupes d’individus représentent chacun leur société et doivent arrivent à s’entendre pour s’entraider. Chacun se procurant des contacts pour les donner aux autres… Je trouvais ça beaucoup trop ‘segmenté’, théâtralisé, avec beaucoup trop de pression. »

Ce concept de ‘faire rencontrer des gens’ vient des Etats-Unis et s’est énormément développé ces vingt dernières années. « A tel point qu’il en existe partout dans le monde maintenant, surtout en Angleterre. C’est un vrai business, il y a des parts de marché très importantes. » En se rendant à différent networking, Yann commence à se poser la question d’en créer un. « Je me suis toujours demandé comment accéder à la communauté française de Birmingham. On est moins nombreux qu’à Londres mais on existe quand même ! »

Il se définit lui-même comme quelqu’un de plutôt ouvert d’esprit. Et comme le concept lui plait sur le fond, il essaye beaucoup de groupes, jusqu’à rencontrer par ce biais un certain Paul. « C’est le manager de l’événementiel du casino où nous sommes. Il est le premier à m’avoir lancé l’idée de faire ça chez lui. »

Allô Allô

Yann opte pour cette option. « Je connaissais l’endroit, non pas à cause de la roulette, mais parce qu’il y avait déjà un networking ici. Qui était gratuit en plus. C’est assez rare pour le souligner… » En fait, le casino ne fait rien payer à l’organisateur mais demande aux invités de remplir une fiche de renseignements la première fois qu’ils viennent. « Ça leur constitue un carnet d’adresses. Il n’y a pas que les jeux ici, ils organisent aussi des séminaires d’entreprise, des soirées à thème… »

« Au début, on n’était qu’une dizaine. Et puis j’ai décidé de rattacher mon groupe à Meetup. » Meetup.com est un site qui permet à des groupes de se former sur internet. Il suffit ensuite de lancer une invitation pour passer du virtuel au réel en se donnant rendez-vous quelque part. « Il existe un Meetup français à Birmingham. Moi j’avais créé mon groupe Allô Allô et je l’ai mis sur Meetup. Maintenant nous sommes une cinquantaine à se retrouver ici tous les mois. »

C’est ainsi que depuis un an, Yann élargit sans cesse son groupe pour faire tourner les cartes de visite. Son originalité ? Un buffet de produits français. « C’est toute la convivialité de notre pays. Je ne me voyais pas faire ça le matin autour d’un breakfast anglais. La façon de faire pour les networking français, c’est de prendre l’apéro en fin de journée. »

Qui et quoi

On sent très bien que les personnes arrivent directement de leur travail. Le costard et la petite robe noir sont de rigueur. En tendant l’oreille, les participants se découvrent. « Des Français évidemment. Mais pas seulement. C’est fait aussi pour les Anglais qui apprécient la culture française. Ils parlent notre langue, ont peut-être une maison en France ou ont travaillé là-bas. Ils viennent pour prendre des cartes de visite, mais aussi se faire plaisir, parler, et déguster évidement. »

L’hôte nous assure que tout est directement importé de France. « Je ramène tout dans mon coffre. » Et puis, il commence une liste non exhaustive. « Ce soir il y avait une sélection de fromage de chèvres, du saucisson sec d’Ardèche et des pâtés de canards du Sud-ouest. Pour les vins, j’apporte toujours des bouteilles variées. Là on a bu du Muscadet, un Saumur-Champigny, un Bordeaux blanc de Graves ou encore un vin de Fronton, c’est toulousain. J’avais apporté aussi un côtes-de-Blaye mais je ne l’ai pas sorti. »

Débrouillardise et présence

Il peut y avoir aussi des rouges et des blancs d’autres régions, mais l’organisateur surveille son budget. « Les Bourgogne, c’est moins facile, je cherche un bon rapport qualité-prix. Je ne demande que cinq livres de participation. Et je rentre à peu près dans mes frais. » Il insiste sur le ‘à peu près’ en souriant.

Surtout, il tient son rôle d’hôte à la perfection. « Au début, certains avaient tendance à avoir des verres beaucoup trop pleins… Alors, je me suis mis à servir, sans trop charger. Ça permet d’y en avoir pour tout le monde. En fait, je fais ça quand j’accueille les invités au début de la rencontre. » Après, chacun peut en reprendre et poser des questions à Yann. « Les gens sont hyper réglo. Et ils me demandent les noms des fromages ou des vins. C’est vraiment bonne ambiance. »

Pour l’aider dans sa quête de produits, il compte sur sa sœur qui vient souvent lui rendre visite; et sur ses stocks, tout simplement. « Tous les mois, je me débrouille, mais c’est toujours très bon et très apprécié. » On confirme pour en avoir bien profité…

Tout ça pour ça

En créant cette plateforme, on imagine bien que Yann se fait aussi plaisir. Il aime partager, ça se sent. Mais pas seulement. « Mon but c’est aussi de rencontrer des Français pour mes assurances. » Et il prend sur la pile de prospectus une publicité pour son entreprise. Business is business tout de même.  » Les Anglais c’est aussi parce que je donne un petit peu de cours de langue, mais je ne le fais plus trop en ce moment. »

Son pays lui manque, mais il arrive à trouver des palliatifs. « J’aime lire des bouquins dans ma langue par exemple. Et puis on regarde un peu la télévision française. Genre les journaux sur TV5 Monde. En ce moment, on ne capte plus la chaîne je ne comprends pas. C’est la crise parce que ma mère habite chez nous et qu’elle adore… »

A terme, il ne sait pas très bien dans quel coin du monde il aimerait vivre. « J’aspire à la campagne surtout. Celle anglaise est très bien ordonnée, ça me plait. Mais encore faut-il qu’il fasse beau… «  En réfléchissant, il pense aussi à sa famille. « Ma femme travaille à la NHS (NDLR National Health Service, le système de santé britannique), c’est une bonne situation. Et puis je veux faire attention à l’équilibre des filles, elles ont leurs copines et leur vie ici. » Il s’arrête un instant. « Quoi que, je pense que ma fille aînée serai partante pour retourner en France quand même. »

Les serveurs du casino ont récupéré les verres à pied pour les laver. Yann n’a plus qu’à finir de ranger les bouteilles et les baguettes qui restent. Il met tout dans des cabas de supermarchés. Puis il les prend sous les bras et se retourne pour vérifier qu’il n’a rien oublié. Sur les sacs, pas de Tesco ou Sainsburry mais Intermarché et Super U. Un petit goût de France en fait.

Marion, 28 ans. Un boulot grâce au Prince Charles.

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L’avantage de travailler chez soi, c’est qu’on peut rester en chausson toute la journée. C’est donc avec ses pieds bien au chaud que Marion m’ouvre la porte de sa maison près de Moseley. Elle me conduit vers son minuscule bureau, un peu à l’écart dans son appartement. Devant la fenêtre, les rideaux sont en voilage tricolore. Bleu, blanc et rouge, bienvenue dans une salle de cours de français. Je m’installe face à la jeune femme, sur la chaise de l’élève. Sauf que là, c’est moi qui pose les questions.

Marion est pleine d’entrain et commence toutes ses réponses très très vite, avant de s’arrêter pour réfléchir sur la façon de finir sa phrase. Quand je ne connais pas une ville ou une entreprise anglaise dont elle me parle, elle se lève et m’écrit sur son tableau le mot. Elle a l’habitude de manier le feutre Velleda, ça fait six ans qu’elle enseigne. Et pas n’importe comment. Avec son sourire.

Jumelage

C’est pendant ses études d’anglais qu’elle a décidé de partir à Birmingham. « A la base, je ne voulais pas forcément être professeur… » Marion a commencé à étudier la langue de Shakespeare avant d’enseigner celle de Molière. « J’étais bonne en anglais à l’école, donc j’ai fait le choix de faire LLCE en fac (NDLR Langue littérature et civilisation étrangère) mais c’était vraiment par élimination… En licence, je me suis intéressée aux petites pub’ placardées dans l’université. ‘Devenez assistante de langue.’ J’ai saisi ma chance au vol. En plus, il y avait une certaine pression du corps professoral. On nous répétait toujours qu’il fallait partir, partir, partir … Du coup, je l’ai fait ! « 

Dans le bureau d’échange, elle se souvient de la carte géographique du Royaume-Uni. « On devait choisir par région, et évidemment tout le monde se jetait sur Londres. » Marion fuit la capitale. « Je savais que c’était cher et bourré de Français. Je ne voulais pas me retrouver dans une sous-communauté ou dans un énième arrondissement de Paris. »

Sur les trois villes demandées, elle ne se souvient que de la capitale des Middlands. Cela tombe bien, c’est ce qu’elle a obtenu. « Mon village en France est jumelé avec une petite ville qui n’est pas très loin de Birmingham, donc je connaissais la région pour y être déjà venue. J’avais gardé des coordonnées d’habitants. Je pensais que ça pouvait m’aider en arrivant, pour le logement par exemple. »

Arrivée

Même si elle avait quelques contacts, Marion arrive seule, et se souvient de premiers temps un peu difficiles. « Mon anglais n’était pas terrible, même après trois ans d’études de la langue… Evidemment, j’avais fait de la théorie, des écrits, des essais, mais je ne savais pas dire des choses toutes bêtes. Mes premières factures de gaz à payer, c’était terrible. Et puis, on ne nous avait jamais parlé de l’accent de Birmingham… »

En choisissant cette ville, Marion sait qu’elle ne vient pas faire du tourisme. « C’est clair que ça n’est pas le Bull Ring qui m’a attiré. Mais de toutes façons, quand je me suis baladée en Angleterre, je me suis rendue compte que tous les centres ville étaient tous pareils. Des commerces à tous les coins de rues. »

Côté boulot, tout roule. Elle est en CDD pour une année scolaire, gagne environ 800 livres par mois et enseigne sans trop de difficulté le français aux petits Anglais. « Je travaillais dans des maternelles. On faisait des jeux et des chansons. Je leur apprenais quelques mots. Le seul truc pas évident c’est la première fois que tu es toute seule devant une classe. Mais sinon ça va. »

La communauté des assistants de langues

C’est le Birmingham City Council qui gère les étrangers pour toutes les écoles de la ville. « L’année où je suis arrivée, on était une centaine d’assistants dans l’agglomération. Il y avait des gens du monde entier : des Allemands, des Mexicains, des Chiliens… Des réunions sont organisées tous les deux ou trois mois donc on apprend à se connaître et je me suis fait plein d’amis. Le but en quittant son pays, c’est quand même de sortir et profiter de la vie aussi. »

Evidemment, il y a aussi des Français dans le programme. Mais Marion cherche à les éviter, au moins au début. « Notre langue est numéro un ici dans l’éducation. Du coup, on est très demandés et très nombreux. C’est pas ce qui nous rend les plus sympathiques. »

Elle se souvient par exemple de la réunion de rentrée où une collation était proposée aux arrivants. « Les Français restaient ensemble et critiquaient la nourriture anglaise. Ils demandaient comment on pouvait servir de la ‘sausage roll’ sur un buffet… Certains n’hésitaient pas à dire que le gâteau au chocolat était super mal cuit ! Faut jamais être sorti de chez soi pour dire ça ! Quel manque d’ouverture,  j’avais honte. »

One year after

Pour les Français, grâce à la forte demande, c’était plutôt simple de rester une année de plus dans le programme. « Après, faut avoir envie de travailler, parce que c’est parfois facile de ne rien faire… Beaucoup d’écoles ne savent pas forcément comment utiliser les assistants. On est parfois debout au fond de la classe, à regarder si les élèves ne s’endorment pas… Certains étudiants repartent vite dans leurs pays. »

Mais Marion se plait bien à Birmingham. « Au bout d’un an, j’ai senti qu’il fallait que je reste encore un peu. Mon anglais n’était pas encore au top, et je trouvais que je pouvais faire mieux. J’avais rencontré pleins d’amis, et puis… je sortais avec quelqu’un qui habitait ici, ça aide à prendre la décision quand même… »

Avec un salaire plutôt bas et peu d’heures de cours à donner, les étudiants du programme cherchent des petits boulots pour compléter leur fin de mois. « Souvent c’est barman ou barmaid, mais moi je décide d’enseigner le français à des adultes. J’avais trouvé un truc qui me plaisait vraiment. »

Politique d’austérité

Pendant cinq ans, Marion continue à faire les deux, le soutien en français aux enfants à l’école et les cours chez elle pendant son temps libre. « Les deux fonctionnaient bien. Par le bouche à oreille, j’avais toujours de nouveaux élèves Je gagnais autant avec mes cours de particuliers qu’avec le tutorat. Le seul problème, c’est que j’étais au black pour la moitié de mon salaire. »

Et puis David Cameron arrive au pouvoir, et restriction budgétaire oblige, il supprime tous les assistants de langues. « Pour les grammar school et les language college, c’est un coup dur. Et moi, je perds un de mes deux boulots. C’est alors que je me suis dit qu’il y avait un vrai potentiel dans les cours de français. Et puis qui ne tente rien n’a rien, je décide de m’installer à mon compte et pourvoir enfin déclarer officiellement ce que je gagne. »

L’auto-entrepreneuriat

Marion se renseigne alors pour devenir ‘self employed’. Elle découvre une association caritative du Prince Charles qui aide les moins de 30 ans à monter leur entreprise. « J’ai fait une formation avec le Prince’s Trust. Tu arrives avec ton projet, ton business plan et il te donne des conseils. Il y a une semaine de coaching intensif, et tout est gratuit ! A la fin, on te propose un mentor et un peu d’argent pour démarrer. »

Grâce à cette association, la jeune femme lance sa petite entreprise. « J’ai eu de la chance, mon copain est infographiste. Mon logo, mon site internet, c’est lui qui a tout fait ! Et je dois avouer que c’est primordial pour bien commencer. Il m’a même organisé une campagne de pub avec un chaton et un chiot qui sont prêts à se battre parce qu’ils ne parlent pas la même langue… Si ça n’avait tenu qu’à moi, je n’aurai jamais fait tout ça. »

Madame le professeur démarre en été, en plein vague creuse pour les cours. « Au début j’ai un peu galéré, j’ai demandé des aides, c’était hard. Mais six mois après, je commençais à faire du bénéfice et à en vivre. Je touche du bois parce que ça fait un an et ça marche toujours. »

Marion 2

Quartier

Les cours ont principalement lieu chez elle. « C’est moins cher pour les élèves. Si je me déplace c’est une grosse perte de temps pour moi. Je fais pratiquer le français à un monsieur qui habite Walsall, c’est à une demi-heure en voiture d’ici, ça lui coûte trente pounds de l’heure, ça ne ferait que vingt si c’était à la maison. »

Je lui demande si elle a des problèmes avec certains clients, elle me reprend tout de suite. « On ne dit pas client, on dit élève ! Surtout pas des ‘consommateurs’ comme en anglais ‘consumer’ ! Et c’est vrai qu’au début, je me disais ‘qu’est ce que le quartier va penser ? ‘ça rentre et ça sort tout le temps de chez moi… Mais bon, mes élèves sont principalement des femmes, et je n’ai jamais eu de problème. »

La seule chose à laquelle tient Marion, c’est son ‘terms and conditions’. « Parce que des gens annulent trente secondes avant le cours… Tout le monde doit le signer. Evidemment, il y a toujours des personnes capables de dire quelque chose. Genre, ‘ça fait 6 mois qu’on vient, on peut avoir un prix ?’ Mais de manière générale, je n’ai pas de soucis. »

Birmingham for ever  ?

‘La petite Marion’, comme l’appelle le buraliste de Moseley est bien connue dans son quartier. « Je me suis installée ici il y a trois ans parce que je pense que c’est un des coins les plus chouettes de la ville. Il y a ce côté un peu village… Avec une rue principale, mais pas genre la grande artère commerçante avec le méga Tesco… C’est très personnel, avec le marché une fois par mois, tout le monde connaît tout le monde. C’est très sympa. »

De l’Angleterre, la professeur de français aime la langue, la culture, les gens, leur façon de vivre, mais surtout, leur humeur très relax. « Leur positive attitude j’ai envie de dire. En France on est quand même relativement négatif. Ici tout est génial. »

Elle ne sait pas si elle habitera toute sa vie ici mais elle tient à rendre hommage aux Anglais pour leur façon de faire confiance aux gens qui ont des idées. « Je trouve qu’il y a beaucoup d’opportunités pour les personnes comme moi , qui veulent créer quelque chose. Quand j’ai dit à mes amis britanniques que j’allais monter ma boîte, ils sont tous dit ‘super, ça va marcher’. Ils sont même un peu trop positifs parfois ! Quand j’en ai parlé en France , on m’a dit ‘Mais t’es sûre ? Qu’est-ce que tu vas faire si ça ne prend pas ?’

Bref, mademoiselle est fan de l’Angleterre. Et ne trouve à redire que sur l’éternel point noir de la vie ici : la météo. « Si on bouge, je pense qu’on ira forcément chercher un peu de soleil. Je rêve de m’installer en Espagne par exemple. » Une nouvelle langue pour le couple franco-anglais qu’elle forme avec son amoureux ? « Cela risque d’être difficile, parce qu’il ne parle qu’anglais et a du mal avec les autres langues. Il a essayé l’espagnol ou le français, mais il n’y arrive pas. Quand on va voir mes parents en France, il se dit ‘je connais trois mots, je vais peut-être en apprendre trois de plus’ et ça ne marche pas… » Encore un cordonnier mal chaussé.

Agincourt

Sur le bureau, un grand agenda noir est ouvert à la page du jour. Toutes les heures, les prénoms de ses élèves se succèdent.  » En général, les cours s’enchaînent toute la journée. Si j’ai un moment, j’aime bien écouter Laurent Ruquier. La radio c’est forcément Europe 1. La radio anglaise, je la trouve exécrable. Ils ont de la bonne musique mais c’est tout. Ce que j’aime c’est la façon de traiter l’actualité en France. J’achète aussi Le Monde à Moseley. Mais pas seulement. Je lis parfois Voici ou Gala. » Elle rigole. « Je dis que c’est pour mes élèves ! « 

Autour de nous, les murs sont couverts avec des cartes postales et des affiches de béret, de tour Eiffel et de baguette… On se dit que les Anglais qui viennent la voir n’ont pas peur des clichés sur la France… Marion rétorque.  » Ils sont tellement polis. Jamais ils n’oseraient me parler de grenouilles par exemple. C’est trop drôle. »

Parfois, elle retrouve certains de ses élèves à l’extérieur. Ils sont devenus des amis avec le temps. « Et là, un petit verre aidant, ils me font marrer à me parler d’Azincourt. On dit ‘Agincourt’ en anglais. Je crois qu’ils ont des manuels d’histoire avec une seule date dedans ! Parce qu’à part ça et Jeanne d’Arc, ils ont quelques lacunes sur nos victoires françaises. On les a renvoyés dans leur île quand même ! « 

Catherine, 42 ans « Pour rien au monde, j’habiterais à Londres »

Catherine

Située au cœur du quartier d’Edgbaston, l’université de Birmingham est gigantesque. Pour rencontrer Catherine, j’ai rendez-vous dans un café à l’intérieur d’un des bâtiments. La grande cafétéria est sur deux étages et dans les canapés, des filles aux lunettes carrées se lovent contre des garçons plongés vers leurs ordinateurs. La jeune femme arrive avec son sac à main chargé de copies, elle s’affale dans un des fauteuils. Elle est concise, facile d’accès, fraîche, posée. Elle est aussi réfléchie et sérieuse, mais pas barbante. Une prof quoi.

Quand je lui demande ce qu’elle fait à la faculté, elle hésite. « En anglais ou en français ? De toutes les façons, je ne connais pas la traduction. Je suis part-time lecturer. En gros, je donne des cours magistraux en droit français et j’anime des séminaires, des TD, en droit français aussi. » Catherine s’est installée en 2002 à Birmingham parce que Volker, son mari, avait eu un poste ici. Deux amoureux universitaires en sorte.

From Sarrebruck with love

Ce couple franco-allemand s’est rencontré au Texas en année d’échange. Ils sont restés un an ensemble avant de repartir chacun dans leurs pays valider leurs diplômes. Le droit pour elle, les maths et l’intelligence artificielle pour lui. « Après j’ai commencé à bosser à Paris en tant que juriste d’entreprise, et on s’est revu… Lui faisait sa thèse à l’université de Sarrebruck. » Elle va droit au but. « On a décidé d’avoir un enfant, donc je suis tombée enceinte et à huit mois et demi de grossesse, je suis partie habiter en Allemagne avec lui. »

Le nouveau papa finit sa thèse et commence à travailler à l’université. « Il a cherché un poste permanent mais en Allemagne, ça n’est pas facile à trouver. En Angleterre, il y a plus de possibilités. Il y a eu plusieurs postes qui se sont libérés, à Reading et à Birmingham. » La capitale des West Middlands a un très bon département d’intelligence artificielle, c’est ce qui a fait pencher la balance. « En plus, un collègue allemand avec lequel il avait déjà travaillé, enseignait déjà là-bas. C’était bien. »

En Angleterre, Catherine travaille. En Allemagne, c’était un peu différent. « Quand on est juriste, c’est toujours très difficile de s’exporter… J’ai fait un master de droit allemand pendant le temps où j’ai vécu à Sarrebruck. Mais j’ai eu aussi Clara, deux ans après Elise. J’étais bien occupée avec mes deux filles. »

King Heath

Avant leur emménagement, le couple vient visiter Birmingham. « J’étais relativement effrayée. Je ne connaissais pas la ville, les systèmes d’écoles, les quartiers. Quand je suis passée à King Heath, j’ai trouvé ça glauque. Je me suis dit qu’il ne fallait surtout pas habiter là. Et puis Volker a choisi une maison à louer… exactement dans la rue que j’avais détestée quelque mois avant. »

Au fil de la conversation, Catherine se laisse aller à quelques confidences. « Je n’étais pas très contente. Je ne suis pas d’un tempérament dépressif et je ne baisse pas facilement les bras, mais j’ai le souvenir d’entrer dans cette maison, début janvier, il faisait froid et gris. Et je pensais ‘on paye deux fois plus qu’en Allemagne, c’est deux fois plus petit et trois fois plus moche ! « 

Elle avoue cependant avoir ensuite compris le choix de son mari. « Il avait trouvé des écoles publiques très correctes et le quartier lui avait été recommandé. Aujourd’hui, j’aime bien. Je trouve que c’est très international. Et puis il y a beaucoup d’entraides avec les voisins, des gardes des enfants, des échanges. Au bout de dix-huit mois sur place, on a acheté une maison qu’on a complètement retapée. Récemment, on recommencé la même chose. En dix ans ici, on aura habité dans trois maisons, toutes à King Heath. »

Dress and food

A écouter la parisienne, la ville de Birmingham c’est la diversité, surtout dans son quartier. « Ici, il y a une ouverture, une tolérance folle. A chaque fois que je vais dans le centre ville, j’hallucine sur les tenues vestimentaires. » On l’imagine bien, observant les femmes en niqab qui croisent les adolescentes en mini jupe et tee-shirt au dessus du nombril.

Catherine continue ensuite sur la nourriture. « Je m’étonne toujours. Bien qu’on ait beaucoup d’amis anglais qui cuisinent très bien, ça doit être parce qu’on aime bien manger, les amis de mes enfants, c’est catastrophique. » Elle m’explique. « Les chips par exemple. C’est réservé pour les rares fois où mes filles ont une sortie pique-nique. Sinon, elles apportent leurs déjeuner à l’école, et c’est moi qui gère. Dans leur lunch box, ça peut très bien être du chou à la viande. Elles m’en veulent un peu de temps en temps… Clara me dit parfois que ça sent mauvais dans son casier. Ça intrigue leurs amis, mais elles, elles sont habituées ! »

Le trilinguisme

De son installation à Birmingham, Catherine se souvient surtout du premier jour de maternelle de son aînée. « Elise avait trois ans et demi la première fois que je l’ai laissée. J’avais un pincement au cœur. Elle ne parlait pas un mot d’anglais ! Elle était surtout assez grande pour réaliser qu’elle comprenait rien… »

Avec leur deux nationalités, il a fallu imposer des règles pour que leurs filles puissent suivre. « Je leur ai toujours parlé français et Volker toujours allemand. » En venant vivre en Grande-Bretagne, la langue de Shakespeare aurait pu s’imposer mais le couple tient bon. « C’est marrant, quand on s’est rencontré, on parlait anglais parce qu’on était aux Etats-Unis. Mais depuis la première naissance, on a décidé d’arrêter de mal parler une langue qui n’est pas la nôtre. Depuis, on utilise uniquement nos langues maternelles, même en couple. »

Le français

La jeune femme semble vouloir me rassurer. « Mes filles n’ont pas un mauvais niveau, je leur ai toujours parlé uniquement en français, même quand elles ont des amies anglaises qui viennent à la maison. Tous les soirs, on lisait un livre dans ma langue. Il y a juste quand elles ont commencé à apprendre à lire, qu’on prenait les livres de l’école. »

Pour l’enseignante, l’apprentissage est fondamental. « En fait, on les a d’abord laissées apprendre à lire en anglais, et ce n’est qu’une fois qu’elles avaient acquis le bon mécanisme que j’ai commencé à leur apprendre à lire en français. »

Aujourd’hui, les petites ont grandi. La fratrie s’est même agrandie d’une nouvelle petite fille. « Quand elles sont toutes les trois, c’est un peu problématique. Au départ, c’était que le français. Quand elles ont commencé l’école britannique, les deux aînées ont eu tendance à parler anglais ensemble. On ne les reprend pas systématiquement, sauf quand on est à table. On fait exception si on a des amis anglais avec nous évidemment. Mais en famille, la règle c’est pas d’anglais, uniquement l’allemand ou le français. »

Le sang et le sol

Côté ressenti, Catherine se décrit comme une française. « Avec les filles qui ont vu le jour dans des hôpitaux à l’étranger, un mari d’une autre nationalité et deux expatriations, je suis aussi européenne. Mais c’est mon pays qui compte. » Sa dernière est née à Birmingham.  » Elle pourrait avoir la nationalité anglaise, mais après elle devrait peut-être perdre une de ses deux nationalités de sang… On garde ses passeports allemand et français. Comme les autres. »

Catherine est inscrite sur la liste des résidents français. « D’ailleurs, faut que je renouvelle ma carte consulaire… Elle a déjà expiré il y a quelques semaines. » C’est important pour elle de suivre ce qui se passe dans son pays  » Je suis allée voter pour la dernière élection présidentielle. Une organisation formidable. Surtout par rapport à ce que j’ai lu sur les conditions à Londres. Nous c’était très facile, il n’y avait pas de queue pendant des heures. »

A l’écouter, il y a des avantages à vivre ailleurs que dans la capitale. « Pour rien au monde, j’habiterais à Londres. Il faut être très riche pour avoir une vie sympa, ici on est tranquilles. »

Back to the future

Pour la jeune femme, le plus important c’est de savoir prendre le temps de rentrer en France. « Nos deux familles, et surtout la mienne, sont assez demandeuses, ils aiment bien voir les filles, les avoir. On fait un peu de skype, du téléphone et dès que c’est les vacances, départ pour l’hexagone ! C’est pour ça aussi qu’elles continuent de parler pas trop mal français, pour les cousins et les cousines. »

A long terme, Catherine dit n’avoir aucune idée de où elle pourrait se retrouver. « Mais pour moi, ça ne serait pas un choix de partir. Peut-être pour des raisons professionnelles… Si on est obligé de déménager, on le fera. Mais moi, ça ne me gênerait pas de rester ici. »

Coup de téléphone, Clara est malade et la femme de ménage la garde. C’est l’heure de prendre le relais. En français ou toute autre langue, Catherine doit rentrer s’occuper de sa fille. Le rôle de maman est universel.

Yéliz, 30 ans, « Je suis arrivée dans le joli cliché de Birmingham, et ça m’a plu. »

yélizComme sa boutique, elle se remarque de loin. La devanture du magasin de bonbons et de chocolats de Moseley est rose à points blancs. La vendeuse a une chevelure de feu. Yéliz est un petit bout de bonne femme pleine d’énergie. Elle a la voix chaude, presque rauque. C’est un soleil méditerranéen dans la grisaille anglaise. Elle me donne rendez-vous dans un café pour me raconter son histoire et s’installe naturellement sur une table de la terrasse. Quand il se met à crachiner, elle met sa capuche, et me sourit. Sans bouger.

Ah, l’amour…

La jolie franco-turque est installée ici depuis mai 2010. « Après mes études à Paris, j’ai travaillé trois ans en tant que chef de produit dans le tourisme. Je voyageais avec mon petit uniforme et mon Macintosh pour organiser des séjours. Un jour, j’ai pété les plombs et j’ai rejoint mon frère en Asie pour essayer de monter un centre de plongée écolo. »

Mais tout ne fonctionne pas comme prévu. Son frère change ses projets et Yéliz se retrouve seule au Cambodge. Elle travaille sur une île et revient de temps en temps sur le continent pour faire la fête dans le bar d’un de ses amis. « C’est là que j’ai rencontré mon brumi boy (NDLR un gars de Birmingham). Il s’était fait voler son sac, et bossait un mois en tant que serveur pour se renflouer un peu. On est tombé très amoureux très vite et on est parti voyager… Et puis, l’Europe nous a rattrapé. Des prêts à rembourser, la fin de son congé sabbatique, il fallait rentrer. »

Yéliz n’a pas froid aux yeux. « Je me suis dis, tu veux découvrir le monde et l’Angleterre tu ne connais pas. Allons visiter cette île. Et puis cette ville qui s’appelle Birmingham et dont je n’ai jamais entendu parler. Nous nous sommes donc installés à Moseley. Il le disait avec un tel accent que j’avais compris ‘Muesli’, comme les céréales. Je n’étais pas au bout de mes surprises. »

Comme dans les livres

Voilà donc notre baroudeuse et son amoureux qui s’installent ensemble. « On habite un petit appartement magnifique dans une bâtisse victorienne de 1870. Une grande baie vitrée, une chambre cosy, un grand sapin dans le jardin, des petits écureuils, le paradis quoi ! »

De ses deux premiers jours dans la ville, Yéliz garde un souvenir ému et émerveillé. « Ah, le premier déjeuner… Nous étions chez sa sœur à Warwick. Au programme : dégustation de saucisses et de sauce Marmite. Après huit mois de riz et pousse de bambou, le pied. Sur la route, je voyais les paysages de Tolkien et les écoles d’Harry Potter. Mon fantasme anglais était là ! Architecture, alimentation… je ne me lassais pas de tout observer et découvrir. »

Le dimanche, elle se retrouve au mythique pub de Moseley, le Fighting Coks, pour un Sunday Rost. « Son meilleur pote avait des piercings et des ‘tattoo’, sa nana m’a offert des petits chocolats, je me suis toute de suite sentie bien. Derrière nous, il y avait une DJ de 60 ans qui mixait tranquillement. Elle portait une jupe en cuir et avait les cheveux orange. Je suis arrivée dans le joli cliché de Birmingham, et ça m’a plu. »

Il faut dire que son chéri l’a bien aidé. « C’est quelqu’un qui aime énormément son pays, sa culture… et qui sait la partager. Il m’a tout montré et j’ai adoré ! Au moins les premiers mois. »

Boulot boulot

De temps en temps, Yéliz passe sa main dans ses cheveux bouclés pour les ramener en arrière. C’est quand elle revient sur terre. Après cette explosion de nouveautés, la réalité la rattrape bien vite. Il faut dire qu’au début, elle a vraiment la vie douce. « Mon chéri est ‘crew manager’ chez Virgin, chef de cabine quoi. Du coup, je passe mon temps à voyager avec lui. Je ne paye que les taxes d’aéroport. Et puis, à l’époque, je continuais de toucher un peu de chômage. Le deal en s’installant ici, c’était de rester environ trois mois. Six mois maximum… Ça fait maintenant presque trois ans ».

Pendant ses six premiers mois à Birmingham, dans sa tête, ça fourmille. « J’avais fait pleins de projets, des idées de boîtes à monter… Mais rien ne marchait. Je commençais à sentir aussi que Birmingham ça n’est pas si facile, et que l’Angleterre n’est pas ‘juste’ la voisine de la France. Ne serait-ce que pour se faire un réseau social. »

Elle continue. « Pourtant je m’étais toujours démerdée. J’avais vécu en Turquie, en Egypte, en Asie… Je me suis retrouvée à dealer des contrats avec des gens qui n’avaient rien à voir avec moi. Ma force à moi c’était de m’intégrer rapidement… Et là, avec les Anglais, rien à faire. ‘Trop spontanée’, ‘Trop gentille’ ! Dès que j’essayais d’être moi-même, je me prenais des bâches monstrueuses. »

Les tarés

Elle finit par me dire ce qu’elle pense des compatriotes de son chéri. « Les Anglais, moi, je les appelle ‘les exotiques’. Derrière leur façade très sérieuse, c’est des tarés. Complètement. Attention, ‘taré’ dans un bon sens, une vraie folie en fait. Tu le vois dans leur signalisation, leur charity shop… Ils sont fous ! »

Face aux difficultés pour trouver un boulot, Yéliz se braque. « La société anglaise s’ouvre à moi. Ils ne veulent pas de moi, je commence à me dire que je ne veux pas d’eux non plus… Cela devenait de plus en plus dur de m’intégrer. »

Le pire dans tout ça, c’est que son couple en pâtit presque. « Mon amoureux a du mal à comprendre que je reste dans mon coin. Il n’aime pas me voir comme ça. Franchement c’est pas facile. »

Door-to-door

Pendant ses mois d’errance, la française accepte n’importe quel boulot. « Je vais même jusqu’à faire du porte-à-porte. C’est la plus grande fierté de ma vie. On dit toujours qu’il faut avoir fait un métier de merde pour pouvoir le ressortir à ses enfants plus tard… Et bien, je peux cocher la case ! « 

Yéliz me raconte donc comment elle s’est fait rembarrer, en plein hiver, par des « gamins de 18 ans qui déchirent le papier sous tes yeux« . En revanche, elle ne regrette pas cette expérience. « Tu apprends le corporating. Le matin, on te motive. Tu dois courir, t’applaudir… Ils sont fous! « 

Et puis surtout, c’est un boulot ingrat. « Tu es à ton compte, tu payes ton transport et surtout tu ne gagnes quelque chose que si tu arrives à avoir des signatures…. Et si tu rentres chez toi à 11h du soir et que tu n’as pas fait mouche, bah tu l’as dans le cul ! »

Les jeunes Anglais avec qui elle travaille lui montrent une nouvelle facette des Britanniques. « Je suis super admirative des gens qui font ça. Ils ont 18 ans, ils veulent réussir, ils veulent du fric, ils bossent jour et nuit. Peu importe le taf, ils se donnent. Il y avait des étudiants qui faisaient ça après la fac pour payer les frais de scolarité. Des bosseurs quoi… Je me suis sentie comme une vielle princesse avec eux. »

Le Ruby-Ru

Et puis, à force de traîner dans son quartier à ses heures perdues, elle fini par rencontrer Charlotte, une française qui y travaille comme serveuse. « J’ai bien aimé sa vibe, on a tout de suite eu un bon contact. Elle est généreuse de son temps et organise un peu le protectorat des petits français qui arrivent… Elle m’a ouvert son univers et m’a présenté au petit groupe des ‘frenchies’ du coin. »

Au fond du gouffre, c’est un des amis de Charlotte qui va lui proposer un job. Le directeur de Maison Mayci, une compagnie de boulangeries françaises de Birmingham, possède aussi une petite boutique de bonbons à Moseley. « Sa vendeuse de Ruby-Ru devait partir trois mois aux USA. Je la remplace pour un contrat de trois jours par semaine. Maintenant ça fait huit mois je joue à la marchande quatre jours par semaine. »

Ce sweet shop, Yéliz l’avoue, « c’est un job pour bouffer ». Elle est redevable de David qui a pensé à elle mais ce n’est pas vraiment son métier. « J’essaye de mettre à profit mes ‘skills’… Développer l’activité, faire des cours de cuisine, un petit café dans le sous-sol de la boutique… Mais c’est compliqué. On n’a pas beaucoup de moyen. » Alors, Yéliz continue de vendre les petites gâteries aux enfants, mais pour combien de temps ? Elle cherche toujours quelque chose plus proche de ses compétences.

Birmin-blues

Sur le petit coin de paradis qui l’avait enchanté ici, elle n’a pas changé sa position. « J’aime cette ville. J’aime là où j’habite. Mon petit confort, notre maison, Moseley. Mais c’est vrai que parfois je trouve que Birmingham est un peu triste. »

Pour elle, les gens d’ici ont le blues. « C’est une ville qui donne le spleen. L’ancienne capitale industrielle essaye de se re-motiver. Mais c’est pas facile. »

D’autant plus que cette passionnée de sociologie rêve de mélange pour les habitants. « Leur manière de vivre en communauté n’est pas très positive. Moi qui ai grandi à Paris où tout le monde est métisse, ici, c’est quand même chacun de son côté. Multiculturel d’accord, mais pas interculturel. »

Voyage voyage

Avec le recul, celle qui se dit « avant tout parisienne », n’imagine pas un instant retourner vivre en France. « Je veux continuer mon chemin. La planète est tellement grande ! Mon rêve de backpacker (NDLR routard ou globe-trotter), c’est de monter un petit business au bout du monde avec mon chéri. »

Toujours grâce à son copain, Yéliz continue de profiter des billets d’avion à petit prix. « Je ne suis pas à plaindre. J’ai fait mes 30 ans à New York, on rentre des Iles Grenade, et le mois prochain on retourne à Cuba. »

Dans 30 ans, elle ne sait pas où elle se voit. C’est comme ça, elle vit au jour le jour et n’a peur de rien. Pendant qu’elle roule une deuxième cigarette, elle me montre son dernier piercing sur la langue. Elle l’a fait la veille et ne devrait pas fumer pendant une semaine. Ça l’a fait rire.

Jennifer, 32 ans,  » Dès que j’entends des Français, je vais leur parler « 

Jen 1

Même si vous ne la connaissez pas, vous devinez facilement que cette jeune femme n’est pas comme les autres. Elle a un petit coté romantique, mais qui, au lieu de l’éloigner du monde, lui donne des ailes pour aller vers les autres. Jennifer aime les livres. Mais Jennifer aime surtout les partager.

Une fois par mois, elle organise un club de lecture pour des Françaises de Birmingham. Autour de quelques bouteilles de vins et des pizzas maisons, une dizaine de petites dames échangent leurs points de vue. Pendant la pause ‘je débarrasse’ pour les unes, ‘je vais m’en griller une’ pour les autres, la jeune femme se dévoile en toute simplicité.

Un grand soleil

Il y a exactement six ans, la petite bretonne débarque ici pour une semaine avec son amoureux. Son but : trouver un logement.  » Je me souviens très bien de ma première fois à Birmingham, il faisait un temps magnifique. J’ai encore des vidéos de nous, on est en tee-shirt tout le temps. »

Le futur père de ses enfants est muté par son entreprise. Il leur explique alors qu’il est pacsé avec Jennifer et qu’ils veulent partir ensemble en Angleterre. « On a passé une semaine aux frais de la princesse ! Ils ont payé les billets d’avion, on s’est fait des restaurants tout le temps. C’était super. On était sans a priori sur la ville parce qu’on ne la connaissait pas. C’était la découverte et ça nous plaisait. »

Après avoir visité tous les quartiers, c’est encore une fois Solihull qui emporte la mise. « Pour sa proximité de l’aéroport. En arrivant, Fabrice faisait beaucoup de voyages, il allait quasiment toutes les semaines en France. Et puis un collègue nous avait dit que c’était bien, alors on lui a fait confiance. C’est vrai que c’est une ville agréable. On a déménagé trois fois depuis notre arrivée, mais jamais à plus de 100 mètres de l’appartement de départ. »

Job à la clef

Jennifer n’arrive pas dans un pays inconnu. « J’ai fait un IUT Métiers du livre, avec l’option édition-librairie. Après mon diplôme, on avait la possibilité de partir à l’étranger et j’ai eu un poste à Londres : assistante de français pendant un an dans une école. C’était en 2011. Au début, Fabrice devait être muté en Allemagne, et puis finalement ça a été l’Angleterre, j’étais contente de connaître un peu la langue. »

Forte de cette expérience londonienne, la jeune femme prend les devants. « Avant de partir pour la première semaine ici, j’ai envoyé des CV dans toutes les écoles. On est arrivé un lundi, j’ai passé un entretien pour travailler, et le mercredi, j’avais le boulot. »

« En plus, c’était un super poste. Je remplaçais une enseignante qui travaillait dans plusieurs établissements : trois écoles primaires et un lycée. Dans le centre ville et à Solihull. J’ai accepté et j’y suis encore aujourd’hui. »

Au final, Jennifer repense à cette époque en souriant. « Tout s’est fait vite, très simplement. On a trouvé un appartement super, dans un coin sympa, on a tout suite bien aimé notre vie. Mon travail en plus, c’était la cerise sur le gâteau. Fabrice était même étonné, il disait tout le temps que j’avais signé mon contrat plus rapidement que lui… »

Mes chers voisins

Premier réflexe pour le jeune couple, faire connaissance avec le voisinage. Jennifer propose donc à la famille indienne en face de chez eux de venir prendre l’apéro. « Pour moi c’était naturel de faire connaissance. Mais ça a plutôt mal commencé. Deux minutes après mon invitation, la maman est venue à son tour frapper à ma porte. Elle voulait savoir s’il y avait trop de bruits ou tout autre litige en cours. C’était son mari qui l’avait envoyée, se disant que s’ils étaient invités, c’est qu’il devait y avoir un problème à régler ! « 

Jennifer rassure l’Indienne. « Avec le recul, je comprends sa réaction. Ici tu ne t’invites pas comme ça, les uns chez les autres… Quand on y repense aujourd’hui, on en rit encore toutes les deux ! En plus, on a continué les gaffes. J’ai servi du vin, et Fabrice et moi nous nous regardions sans comprendre pourquoi ils ne touchaient à rien de ce que j’avais préparé. Ils étaient végétariens et ne buvaient pas d’alcool. »

En fait, le couple sympathise d’abord avec des étrangers. « Des Roumains, une Espagnole, une Polonaise… Des gens avec qui je prenais des cours d’anglais. Après ils sont tous repartis dans leur pays. Je suis surtout restée très proche de ma voisine indienne. On avait beaucoup de points communs, toutes les deux expatriées, loin de nos familles. C’est par exemple la première personne à qui j’ai dit que j’étais enceinte. »

Twins

La voisine de Jennifer est beaucoup venue l’aider à donner à manger aux enfants quand ils étaient petits. « Les jumeaux sont nés en septembre 2008. Deux petits garçons. Quand je l’ai su, je n’ai pas eu peur d’accoucher ici. J’ai tout de suite penser à la suite. Comment faire avec deux bébés en même temps ? Un vrai choc quand même. Je me suis alors rapprochée d’un Twins club à Solihull. »

Pas de Français dans ce groupe, mais beaucoup de britanniques.  » Cela m’a beaucoup aidé de rencontrer d’autres familles. Des conseils sur l’éducation, le quotidien… Des bons plans aussi pour acheter le matériel ! C’est un sacré budget sinon. Ça devenait enfin faisable. »

« Je ne peux pas comparer le fait d’avoir des jumeaux en France ou en Angleterre parce que je n’ai pas vécu les deux. Il existe des clubs de parents des deux cotés de la Manche, donc ça doit être pareil ! « 

Un pied dans la communauté française.

C’est finalement après la naissance de ses garçons que Jennifer se rapproche enfin de la communauté francophone. « Je me rends compte qu’on est resté dans notre coquille au début. Avec les enfants petits, ce n’était pas facile. Quand je suis allée à des activités parents-enfants de Solihull, j’ai commencé à m’ouvrir. »

Paradoxalement, le jeune femme n’est pourtant pas timide. « Dès que j’entends des Français dans le bus ou dans la rue, je vais leur parler. Mais je n’avais jamais vraiment sympathisé. Et puis un jour, je vois une dame qui prend un livre dans notre langue maternelle à la bibliothèque de Solihull. La jeune femme me propose de participer à un forum pour créer une petite école française, c’était les prémices de Farandole. »

Une grande Farandole

Le professeur de français pour les étrangers est ravie de proposer aux enfants expatriés des cours de rattrapages. « Quand les entretiens ont commencé, j’ai tout de suite postulé. On nous a demandé de préparer une activité, puis si j’avais une préférence pour des niveaux. Aujourd’hui, je fais classe au CP tous les samedis matins. »

Outre sa passion pour la langue française, la lecture et l’écriture, Jennifer aime défendre des valeurs. « Farandole c’est bien pour l’investissement associatif. Dans ma famille, c’est important le don de soi. Et puis, c’était sympathique de participer à la création d’un projet de toute part. Tu n’arrives dans un truc tout fait. »

Avec son peps et sa joie de vivre, la maîtresse fait carton plein auprès des parents, mais aussi des autres professeurs. « Elles deviennent des copines. Même si ça a pas mal bougé depuis la création il y a trois ans, il y a toujours une bonne ambiance, on se voit aussi en dehors de l’école. Pas forcément avec toutes parce qu’on n’habite pas au même endroit. Mais avec celles avec qui je fais le covoiturage, on a une bonne demie heure de route et parfois ça n’est pas suffisant pour papoter… »

Club de lecture

Il est né en janvier 2011, soit bien tard après l’arrivée de la jeune femme à Birmingham. « Avec la naissance des jumeaux, j’ai été tellement prise. Pendant deux ans, j’avais mis de coté ma passion. Et puis, je me suis remise à bouquiner, tout doucement. Et je me suis dit pourquoi pas créer un groupe de lecture ? « 

Très proche de sa maman, Jennifer l’accueille souvent chez elle. Elle est en train de débarrasser et nous rejoint donc dans la cuisine. Un regard complice et la jeune femme se souvient.  » Un jour, c’est pas toi Maman qui m’a envoyé un article dans Ouest France ? Genre ‘et si on parlait bouquin à la maison’ ? Oui, c’est ça qui m’a vraiment donné l’idée. Des rencontres qui devenaient à la mode en France. »

L’ancienne libraire envoie un mail aux Françaises qu’elle connaît et qu’elle apprécie. « Tout le monde a répondu favorablement et ça a commencé. C’était la première fois que je me lançais dans un truc comme ça. »

Bouquins et partage

C’est son métier de parler des livres. « C’est vrai que depuis mon arrivée en Angleterre, j’étais toujours un peu nostalgique de mon travail : l’ambiance en boutique, le contact autour des ouvrages. Je le fais moins maintenant mais il y a quelques temps, quand je rentrais dans une librairie, je retapais toujours les piles… » Son rire est léger mais communicatif. « Déformation professionnelle sans doute ! »

Elle réfléchit un instant, puis reprend. « L’idée avec ce groupe de lecture c’était vraiment aussi faire quelque chose de convivial. Je ne voulais pas qu’on pense ce soit un truc à la Bernard Pivot, chiant…Il fallait que ce soit facile d’accès, sans prétention intellectuelle et qu’on ne se sente pas décalé. »

Pendant tout l’entretien, Jennifer a siroté sa tisane. « Il fallait aussi que ce soit partagé autour d’un thé ou d’un café, à l’anglaise, avec des gâteaux. Au début, on faisait ça en le matin, maintenant on est passé en soirée, … et au salé. Avec un petit verre de vin, c’est pas mal aussi ! « 

Grande et petite Bretagne

Il suffit de voir le pseudonyme sur son blog pour connaître l’origine de la jeune femme. Ses articles sont signés Jenbreizh. « Même après six ans ici, je me sens vraiment uniquement française. En plus, je suis très attachée à mes origines. Dés que je peux placer la Bretagne dans mes conversations, avec mes élèves ou mes copines, je n’hésite pas. »

Même si elle aime sa vie ici, elle reconnait que la ville est un peu grise. « Birmingham, c’est triste, il n’y a pas beaucoup de couleurs. Je fais le trajet Solihull-centre ville en train toutes les semaines pour mes cours. Les bâtiments, les rues, les quartiers, tout ce que je vois par la fenêtre, c’est très sombre. Je m’en rends compte surtout quand je vais ailleurs, en vacances par exemple. Je me dis, ah oui, c’est vrai, le vert ça existe ! »

Elle refuse pourtant de laisser croire qu’il n’y a que du négatif. « D’un autre côté, la multiculturalité apporte une autre forme de couleurs. Et puis s’il ne fait pas beau, je sors de la ville. A 10 kms, tu es à la campagne, c’est magnifique. »

Point d’interrogation

Il est maintenant temps de retourner avec les autres. Le groupe de lecture suit toujours le même rituel : chaque participante présente un ou deux livres qu’elle a lu et parfois apprécié. Le jeu consiste à la fin de la soirée à faire son marché. Et c’est Jennifer qui récapitule sur son notebook ’la liste des emprunts’.

Elle espère que le groupe de lecture perdurera mais elle ne sait pas combien de temps elle va rester à Birmingham. Elle ne sait même pas si elle a envie de déménager ou pas. « Entre les deux mon cœur balance vraiment. Tu peux mettre un gros point d’interrogation. »

Le troc des livres vient de commencer. Elle s’échappe pour attraper un livre sur une histoire de colocation entre retraités. Comme toutes les bonnes personnes, Jennifer aime bien les vielles dames.

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Gabin, 19 ans « Dans les boites, tout le monde est debout, avec des verres en plastique. »

Gabin

Parfois, c’est fou comme le hasard fait bien les choses. En rentrant dans un magasin par exemple. Je suis tout de suite repérée comme une étrangère. C’est comme ça que la personne à l’accueil me présente Gabin, un petit stagiaire frenchie à Birmingham. Le garçon est tout jeune, donc un peu timide. Mais il est travailleur et il sait où il va, donc il devient plutôt à l’aise quand je lui pose des questions. A la veille de son dernier jour de stage, il est même assez content de faire une sorte de bilan de ses deux mois passés à Birmingham.

Challenger

Il est arrivé au début du mois de janvier dans cette petite entreprise d’impression sur Stratford Road. Elève de deuxième année en BTS Assistant Gestion, Gabin a profité de l’expérience d’un de ses prédécesseurs pour dégoter ce stage. « L’année dernière, il y avait déjà quelqu’un du BTS qui était venu. Il avait envoyé des CV partout dans l’Angleterre, un peu au pif, et c’est ici qu’on lui avait dit oui. Il m’a refilé le tuyau, j’ai contacté le boss et il a accepté. Il est trop cool le boss. Là il est en vacances au Pakistan. Ils sont tous pakistanais ici ! »

Le petit parisien n’était jamais venu en Angleterre et n’avait même jamais quitté la France. Gabin, très sérieux, cherchait à tout prix un stage à l’étranger. « Dans mes études, je réussis assez bien, le but c’était de me mettre un nouveau challenge. Histoire de mettre la barre un peu plus haute vous voyez. »

Devant mon étonnement sur sa jeunesse, il esquisse un sourire. « Au départ, c’est clair, c’était vraiment difficile. Mais au fur et à mesure je me suis adapté. Avec l’anglais par exemple. Je le parlais, mais que des notions basiques, ce que t’apprends à l’école quoi. Et puis j’ai progressé. Même si là mon niveau n’est pas très très bon, ça me suffit pour me faire comprendre et comprendre les gens. C’est cool. »

D’un air posé, il me regarde en jouant avec un stylo sur son petit bureau. « En fait, je savais que les premières semaines allaient être difficiles, mais après ça s’est fait tout seul. Tranquillement. »

L’auberge espagnole

Étonnamment, ce n’est pas tellement Birmingham qui l’a marqué à son arrivée. Il a plutôt eu quelques soucis dans son logement. « Mes premières impressions n’étaient pas très très bonnes mais ça n’était pas à cause de la ville. En fait, j’ai débarqué dans la chambre que j’avais trouvée par internet et là surprise, c’était encore en travaux ! Il y avait des ouvriers qui bossaient dedans quand je rentrais le soir ou même la nuit pendant que je dormais… La douche n’était pas finie, et ma fenêtre, c’était une planche de bois. »

Rapidement, tout devient nikel et avec le recul Gabin ne regrette pas sa collocation. « Une grande maison située à une quarantaine de minutes en bus d’ici, entre Birmingham et Aston. C’était super : des belles parties communes, et des chambres perso avec toilettes et salle de bain. En tout, on était vingt-deux, que des étrangers et que des étudiants. Il y avait un kenyan, un camerounais, plusieurs chinois… C’était vraiment l’auberge espagnole en plus grand. »

Au milieu de ce petit monde, le Français est content de trouver deux compatriotes. « Heureusement, il y avait deux françaises dans le lot. En plus, des parisiennes, comme moi. Ça m’a un peu sauvé, parce qu’au début, c’était un peu dur d’échanger avec les autres étrangers. Chacun parle un anglais différent, avec des accents plus ou moins forts. Très rigolo comme ambiance. »

Au boulot !

La première semaine, Gabin ouvre grand les yeux. Par la fenêtre du bus qui l’emmène à son stage, il observe les différents quartiers de la ville. « J’ai un peu halluciné sur l’environnement. Je voyais défiler des maisons qui tombaient un peu en ruine, les détritus. Mais bon, c’était les premiers jours, après tu ne fais plus gaffe. Il faut dire que mon stage de première année, je l’ai fait dans un écopark en France, il y avait un château, de beaux espaces verts… La comparaison est un peu rude pour Birmingham ! »

Tout de suite, il apprécie la vie dans l’entreprise.  » Les gens me mettent à l’aise, ils parlent doucement pour que je comprenne, ils essayent d’articuler pour me faciliter la tâche. Et en plus, ils me donnent du travail intéressant, ce qui n’est pas toujours vrai pendant les stages… J’ai fait une étude comparative entre les outils de marketing anglais et français. Je me suis très bien adapté au travail ici. »

Par ici la sortie

Avec ses horaires de businessman, le stagiaire ne peut pas tellement flâner. « J’ai visité un peu le centre ville, à pied. Je me suis baladé, mais sans rentrer dans les musées. Tout seul, c’est pas très drôle. Même si dans la maison, il y avait beaucoup d’étudiants, moi c’était 9h – 18h tous les jours. Personne ne travaillait dans le monde professionnel, et donc personne n’avait mes horaires. C’était pas simple de se retrouver, aller en ville ou au cinéma ensemble la semaine. »

Un week-end, il se fait emmener dans une des boites de nuit de la ville. « J’ai essayé une fois, et ça m’a vraiment pas plu… ils écoutent pas la même musique que moi, il n’y pas de place pour s’assoir… J’ai détesté et je n’y suis plus retourné ! En fait, ce n’est pas la même façon de faire, tout le monde est debout, avec des verres en plastique ! Moi, j’aime être posé à une table, tranquille. »

Même les fameuses habitudes vestimentaires des Anglaises la nuit n’ont pas satisfaites le sérieux jeune homme. Un peu gêné, il m’explique. « Evidemment cela me plait parce que je suis un gars, mais franchement… comment t’expliquer… Je ne vais pas dire que c’est pas beau, parce que c’est pas mon style, mais je n’aime pas ! C’est court, et je crois qu’il n’y a pas d’autres mots… vulgaire. »

Busy Bus

Pour Gabin, qui n’est donc pas beaucoup sorti, sa vision des Anglais s’est forgée à travers ses trajets en bus, et sur ce thème, il est catégorique, il existe une véritable politesse anglo-saxone. « En deux mois ici, avec un aller-retour en bus par jour, je peux vous dire que j’en ai vu des gens se lever pour laisser leur place aux autres. C’est fou. Ils laissent passer ceux qui descendent, se regardent même parfois en souriant, remercient le chauffeur en sortant… Tu ne verras jamais ça à Paris. »

En revanche, les compagnies de bus ont encore des progrès à faire selon lui. « Le réseau, c’est catastrophique. Je ne sais pas si c’est les bouchons. Toute la journée, je voyais passer les bus devant le boulot. Et quand je devais partir à la maison, plus rien ! Les premières semaines, je n’ai jamais réussi à arriver à la même heure une seule fois au travail. Vingt minutes en avance, un quart d’heure en retard… Et pourtant, je prenais exactement le bus à la même heure ! Il n’y a aucune régularité. »

A la veille de son retour en France, Gabin a pris en note les numéros de téléphone de ses collègues. « Je vais garder des contacts. D’abord pour mon lycée, mais aussi parce que je me suis bien entendu avec eux. Si je reviens en Angleterre, j’aimerai bien repasser ici pour faire un bonjour. »

Le parisien ne se voit pas tellement vivre à Birmingham, en revanche pourquoi pas continuer sa découverte du pays. « J’aimerai bien continuer à perfectionner mon anglais, c’est important pour l’avenir. Mais bon, en deux mois ici, il a fait quand même super froid. J’ai eu de la neige pratiquement tout le temps… J’irai bien plus au Sud quand même. »

Sur son bureau, le téléphone sonne. Gabin ne répond pas. « Il ne faut pas rêver quand même, en général, les appels, c’est pas pour moi, et c’est pas moi qui réponds ! » La boutique va maintenant fermer et il doit retourner à sa colocation pour finir sa valise. « Je suis surtout content de rentrer chez moi pour manger autre chose que des hamburgers, des frites ou du poulet frit. Déjà que tout seul c’est pas facile de se faire à manger, mais alors ici, où tout le monde ne mange que ça toute la journée… »