Jennifer, 32 ans,  » Dès que j’entends des Français, je vais leur parler « 

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Même si vous ne la connaissez pas, vous devinez facilement que cette jeune femme n’est pas comme les autres. Elle a un petit coté romantique, mais qui, au lieu de l’éloigner du monde, lui donne des ailes pour aller vers les autres. Jennifer aime les livres. Mais Jennifer aime surtout les partager.

Une fois par mois, elle organise un club de lecture pour des Françaises de Birmingham. Autour de quelques bouteilles de vins et des pizzas maisons, une dizaine de petites dames échangent leurs points de vue. Pendant la pause ‘je débarrasse’ pour les unes, ‘je vais m’en griller une’ pour les autres, la jeune femme se dévoile en toute simplicité.

Un grand soleil

Il y a exactement six ans, la petite bretonne débarque ici pour une semaine avec son amoureux. Son but : trouver un logement.  » Je me souviens très bien de ma première fois à Birmingham, il faisait un temps magnifique. J’ai encore des vidéos de nous, on est en tee-shirt tout le temps. »

Le futur père de ses enfants est muté par son entreprise. Il leur explique alors qu’il est pacsé avec Jennifer et qu’ils veulent partir ensemble en Angleterre. « On a passé une semaine aux frais de la princesse ! Ils ont payé les billets d’avion, on s’est fait des restaurants tout le temps. C’était super. On était sans a priori sur la ville parce qu’on ne la connaissait pas. C’était la découverte et ça nous plaisait. »

Après avoir visité tous les quartiers, c’est encore une fois Solihull qui emporte la mise. « Pour sa proximité de l’aéroport. En arrivant, Fabrice faisait beaucoup de voyages, il allait quasiment toutes les semaines en France. Et puis un collègue nous avait dit que c’était bien, alors on lui a fait confiance. C’est vrai que c’est une ville agréable. On a déménagé trois fois depuis notre arrivée, mais jamais à plus de 100 mètres de l’appartement de départ. »

Job à la clef

Jennifer n’arrive pas dans un pays inconnu. « J’ai fait un IUT Métiers du livre, avec l’option édition-librairie. Après mon diplôme, on avait la possibilité de partir à l’étranger et j’ai eu un poste à Londres : assistante de français pendant un an dans une école. C’était en 2011. Au début, Fabrice devait être muté en Allemagne, et puis finalement ça a été l’Angleterre, j’étais contente de connaître un peu la langue. »

Forte de cette expérience londonienne, la jeune femme prend les devants. « Avant de partir pour la première semaine ici, j’ai envoyé des CV dans toutes les écoles. On est arrivé un lundi, j’ai passé un entretien pour travailler, et le mercredi, j’avais le boulot. »

« En plus, c’était un super poste. Je remplaçais une enseignante qui travaillait dans plusieurs établissements : trois écoles primaires et un lycée. Dans le centre ville et à Solihull. J’ai accepté et j’y suis encore aujourd’hui. »

Au final, Jennifer repense à cette époque en souriant. « Tout s’est fait vite, très simplement. On a trouvé un appartement super, dans un coin sympa, on a tout suite bien aimé notre vie. Mon travail en plus, c’était la cerise sur le gâteau. Fabrice était même étonné, il disait tout le temps que j’avais signé mon contrat plus rapidement que lui… »

Mes chers voisins

Premier réflexe pour le jeune couple, faire connaissance avec le voisinage. Jennifer propose donc à la famille indienne en face de chez eux de venir prendre l’apéro. « Pour moi c’était naturel de faire connaissance. Mais ça a plutôt mal commencé. Deux minutes après mon invitation, la maman est venue à son tour frapper à ma porte. Elle voulait savoir s’il y avait trop de bruits ou tout autre litige en cours. C’était son mari qui l’avait envoyée, se disant que s’ils étaient invités, c’est qu’il devait y avoir un problème à régler ! « 

Jennifer rassure l’Indienne. « Avec le recul, je comprends sa réaction. Ici tu ne t’invites pas comme ça, les uns chez les autres… Quand on y repense aujourd’hui, on en rit encore toutes les deux ! En plus, on a continué les gaffes. J’ai servi du vin, et Fabrice et moi nous nous regardions sans comprendre pourquoi ils ne touchaient à rien de ce que j’avais préparé. Ils étaient végétariens et ne buvaient pas d’alcool. »

En fait, le couple sympathise d’abord avec des étrangers. « Des Roumains, une Espagnole, une Polonaise… Des gens avec qui je prenais des cours d’anglais. Après ils sont tous repartis dans leur pays. Je suis surtout restée très proche de ma voisine indienne. On avait beaucoup de points communs, toutes les deux expatriées, loin de nos familles. C’est par exemple la première personne à qui j’ai dit que j’étais enceinte. »

Twins

La voisine de Jennifer est beaucoup venue l’aider à donner à manger aux enfants quand ils étaient petits. « Les jumeaux sont nés en septembre 2008. Deux petits garçons. Quand je l’ai su, je n’ai pas eu peur d’accoucher ici. J’ai tout de suite penser à la suite. Comment faire avec deux bébés en même temps ? Un vrai choc quand même. Je me suis alors rapprochée d’un Twins club à Solihull. »

Pas de Français dans ce groupe, mais beaucoup de britanniques.  » Cela m’a beaucoup aidé de rencontrer d’autres familles. Des conseils sur l’éducation, le quotidien… Des bons plans aussi pour acheter le matériel ! C’est un sacré budget sinon. Ça devenait enfin faisable. »

« Je ne peux pas comparer le fait d’avoir des jumeaux en France ou en Angleterre parce que je n’ai pas vécu les deux. Il existe des clubs de parents des deux cotés de la Manche, donc ça doit être pareil ! « 

Un pied dans la communauté française.

C’est finalement après la naissance de ses garçons que Jennifer se rapproche enfin de la communauté francophone. « Je me rends compte qu’on est resté dans notre coquille au début. Avec les enfants petits, ce n’était pas facile. Quand je suis allée à des activités parents-enfants de Solihull, j’ai commencé à m’ouvrir. »

Paradoxalement, le jeune femme n’est pourtant pas timide. « Dès que j’entends des Français dans le bus ou dans la rue, je vais leur parler. Mais je n’avais jamais vraiment sympathisé. Et puis un jour, je vois une dame qui prend un livre dans notre langue maternelle à la bibliothèque de Solihull. La jeune femme me propose de participer à un forum pour créer une petite école française, c’était les prémices de Farandole. »

Une grande Farandole

Le professeur de français pour les étrangers est ravie de proposer aux enfants expatriés des cours de rattrapages. « Quand les entretiens ont commencé, j’ai tout de suite postulé. On nous a demandé de préparer une activité, puis si j’avais une préférence pour des niveaux. Aujourd’hui, je fais classe au CP tous les samedis matins. »

Outre sa passion pour la langue française, la lecture et l’écriture, Jennifer aime défendre des valeurs. « Farandole c’est bien pour l’investissement associatif. Dans ma famille, c’est important le don de soi. Et puis, c’était sympathique de participer à la création d’un projet de toute part. Tu n’arrives dans un truc tout fait. »

Avec son peps et sa joie de vivre, la maîtresse fait carton plein auprès des parents, mais aussi des autres professeurs. « Elles deviennent des copines. Même si ça a pas mal bougé depuis la création il y a trois ans, il y a toujours une bonne ambiance, on se voit aussi en dehors de l’école. Pas forcément avec toutes parce qu’on n’habite pas au même endroit. Mais avec celles avec qui je fais le covoiturage, on a une bonne demie heure de route et parfois ça n’est pas suffisant pour papoter… »

Club de lecture

Il est né en janvier 2011, soit bien tard après l’arrivée de la jeune femme à Birmingham. « Avec la naissance des jumeaux, j’ai été tellement prise. Pendant deux ans, j’avais mis de coté ma passion. Et puis, je me suis remise à bouquiner, tout doucement. Et je me suis dit pourquoi pas créer un groupe de lecture ? « 

Très proche de sa maman, Jennifer l’accueille souvent chez elle. Elle est en train de débarrasser et nous rejoint donc dans la cuisine. Un regard complice et la jeune femme se souvient.  » Un jour, c’est pas toi Maman qui m’a envoyé un article dans Ouest France ? Genre ‘et si on parlait bouquin à la maison’ ? Oui, c’est ça qui m’a vraiment donné l’idée. Des rencontres qui devenaient à la mode en France. »

L’ancienne libraire envoie un mail aux Françaises qu’elle connaît et qu’elle apprécie. « Tout le monde a répondu favorablement et ça a commencé. C’était la première fois que je me lançais dans un truc comme ça. »

Bouquins et partage

C’est son métier de parler des livres. « C’est vrai que depuis mon arrivée en Angleterre, j’étais toujours un peu nostalgique de mon travail : l’ambiance en boutique, le contact autour des ouvrages. Je le fais moins maintenant mais il y a quelques temps, quand je rentrais dans une librairie, je retapais toujours les piles… » Son rire est léger mais communicatif. « Déformation professionnelle sans doute ! »

Elle réfléchit un instant, puis reprend. « L’idée avec ce groupe de lecture c’était vraiment aussi faire quelque chose de convivial. Je ne voulais pas qu’on pense ce soit un truc à la Bernard Pivot, chiant…Il fallait que ce soit facile d’accès, sans prétention intellectuelle et qu’on ne se sente pas décalé. »

Pendant tout l’entretien, Jennifer a siroté sa tisane. « Il fallait aussi que ce soit partagé autour d’un thé ou d’un café, à l’anglaise, avec des gâteaux. Au début, on faisait ça en le matin, maintenant on est passé en soirée, … et au salé. Avec un petit verre de vin, c’est pas mal aussi ! « 

Grande et petite Bretagne

Il suffit de voir le pseudonyme sur son blog pour connaître l’origine de la jeune femme. Ses articles sont signés Jenbreizh. « Même après six ans ici, je me sens vraiment uniquement française. En plus, je suis très attachée à mes origines. Dés que je peux placer la Bretagne dans mes conversations, avec mes élèves ou mes copines, je n’hésite pas. »

Même si elle aime sa vie ici, elle reconnait que la ville est un peu grise. « Birmingham, c’est triste, il n’y a pas beaucoup de couleurs. Je fais le trajet Solihull-centre ville en train toutes les semaines pour mes cours. Les bâtiments, les rues, les quartiers, tout ce que je vois par la fenêtre, c’est très sombre. Je m’en rends compte surtout quand je vais ailleurs, en vacances par exemple. Je me dis, ah oui, c’est vrai, le vert ça existe ! »

Elle refuse pourtant de laisser croire qu’il n’y a que du négatif. « D’un autre côté, la multiculturalité apporte une autre forme de couleurs. Et puis s’il ne fait pas beau, je sors de la ville. A 10 kms, tu es à la campagne, c’est magnifique. »

Point d’interrogation

Il est maintenant temps de retourner avec les autres. Le groupe de lecture suit toujours le même rituel : chaque participante présente un ou deux livres qu’elle a lu et parfois apprécié. Le jeu consiste à la fin de la soirée à faire son marché. Et c’est Jennifer qui récapitule sur son notebook ’la liste des emprunts’.

Elle espère que le groupe de lecture perdurera mais elle ne sait pas combien de temps elle va rester à Birmingham. Elle ne sait même pas si elle a envie de déménager ou pas. « Entre les deux mon cœur balance vraiment. Tu peux mettre un gros point d’interrogation. »

Le troc des livres vient de commencer. Elle s’échappe pour attraper un livre sur une histoire de colocation entre retraités. Comme toutes les bonnes personnes, Jennifer aime bien les vielles dames.

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3 réflexions sur “Jennifer, 32 ans,  » Dès que j’entends des Français, je vais leur parler « 

  1. Bonsoir, je suis très intéressée par votre club de lecture et j’aimerais bien y participer, est-ce que cela est possible? Je suis arrivée sur Birmingham l’été dernier avec mon mari et notre petite fille et l’idée de rencontrer des français en parlant littérature devant une bouteille de vin m’enchante assez !! Audrey

  2. Bonsoir, Comment peut on rejoindre votre club de lecture qui m’a l’air absolument génial, et tout à fait ce qu’il me faut alors que je viens tout juste d’arriver à Birmingham. Je vous remercie mille fois de votre réponse 🙂 Bianca

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